“Varias ibi obambulantium species” : sur la fortune d'un motif antique dans la peinture de paysage à la Renaissance

International audienceSi tous les personnages d’échelle plus ou moins réduite, diversement affairés, qui abondent dans la peinture de paysage à l’époque moderne sont loin de se réduire à un seul type et peuvent au contraire occuper des fonctions très différentes dans la dynamique de l’image, leur récurrence et leur aspect parfois même fortement répétitif d’une œuvre à l’autre invitent néanmoins à s’interroger sur leur dimension topique, leur valeur de « lieu commun » au sens proprement rhétorique. En effet, la présence de telles figures d’animation apparaît mentionnée dès l’Antiquité : elles appartiennent au répertoire des 'topia'. Le repérage d’un certain nombre de textes sur la peinture qui font écho à ces sources classiques, et peuvent souvent être mis en relation avec des œuvres précises, permet de mesurer la fortune que ce motif antique a pu connaître du XVe au XVIe siècle, particulièrement en Italie, et de déceler certaines de ses implications.Des auteurs de la Renaissance ont ainsi souligé la faculté qu’ont les figures d’animation de suggérer la profondeur, d’entraîner le regard et de favoriser sa circulation à l’intérieur de la composition : elles occuperaient donc des fonctions essentielles au sein du dispositif iconique de représentation du paysage. D’autre part, en tant qu’éléments du répertoire fondamental des 'topia', elles donneraient une tonalité antiquisante à la peinture ; en employant une terminologie linguistique, il serait possible de parler à ce propos de valeur connotative, particulièrement perçue par les humanistes, d’autant plus forte que ces figures seraient privées de dénotation déterminée. Pouvant être considérés comme accessoires, comme des 'parerga', ces petits personnages sont des figurants et non des acteurs de l’image, la plupart du temps dépourvus de contenu iconographique précis. Ce sont, simplement, des voyageurs, des promeneurs, des pêcheurs, anonymes. Ils n’en sont pas moins indispensables, en tant que 'topoi', et c’est même cette relative indétermination, semble-t-il, qui leur permet d’acquérir une dimension poétique toute particulière chez certains artistes. Aptes à déclencher la rêverie contemplative du spectateur, libre alors d’imaginer leur destin, ces personnages sans identité singulière ne renvoient sans doute pas tant au réel qu’à un jeu d’échos entre les œuvres relevant de l’intertextualité et font du paysage que nous avons sous les yeux une peinture